The Triffids - Born Sandy Devotional
Bonjour, je suis un album légendaire avec une couverture magnifique
The Triffids ? Mais qu'est-ce que c'est que ça encore ? Qu'est ce qu'il est encore allé nous déterrer ce malade ?
Alors, selon Google, ce sont des monstres-plantes issus d'une nouvelle de science-fiction nommée
The Night of the Triffids.
Je me suis posé cette question quand j'ai découvert ce groupe, par hasard, sur Youtube. Une chanson nommée
Wide Open Road avait fait son apparition dans mon feed Youtube grâce à la magie de l'algorithme. Si je me souviens bien, ils étaient arrivés juste après une écoute des Go-Betweens.
Toujours avide de nouveautés, j'écoute.
Et là, paf, je me prends une claque monumentale, du genre solide uppercut, comme j'ai ai rarement en musique.
Au secours, pensé-je, c'est une des toutes grandes chansons des années 80, qui devrait figurer au firmament des classiques de la musique ! Comme ça ce se fait que ça ne passe jamais en radio ? Même sur le service public belge, qui est déjà vachement qualitatif ?
J'en sors sidéré, charmé, j'ai quitté pendant quelques instants ce plat pays qui est le mien et j'ai été transporté à des dizaines de milliers de kilomètres ici sur une route déserte, dans une vieille voiture lancée à vive allure et soulevant sur son passage des nuages de poussière.
Car c'est là la magie des Triffids et de leur œuvre principale,
Born Sandy Devotional. Il y a quelque chose dans ce son... Et ça fait des années que j'essaie de mettre des mots dessus, sans succès. Je vais donc essayer de le formuler avec mes simples mots, limités bien entendu. Il y a l'esprit du lieu dans cette musique, et c'est en quelque sorte un miracle. Chaque note, chaque texte, chaque ambiance musicale dans cet album déroule dans l'esprit de l'auditeur rien de moins que l'Australie, dans son immensité terrible, vide et désertique.
Décidément je me demande ce qui s'est passé en Australie et en Nouvelle-Zélande dans les années 80, parce qu'ils ont produit une quantité invraisemblable de groupes tous simplement exceptionnels qui ont considérablement enrichi le patrimoine musical mondial. Qu'on ne vienne plus jamais me dire, comme j'entends souvent, que les années 80 sont un repère à merde dont il n'y a rien à sauver. Bordel.
Mais assez de mes plaintes récurrentes. Passons à la musique.
Les Triffids sont un groupe australien formé autour de David Mc Comb, immense auteur-compositeur-interprète, totalement oublié et négligé en Europe bien sûr (comme souvent), considéré dans son pays comme un des plus grands de sa génération (il est mort depuis, paix à cette grande âme).
Et enfin, en 1985, ils enregistrent leur magnum opus, Born Sandy Devotional, dans un studio londionnient, à des dizaines de milliers de kilomètres de chez eux. Les terres arides et rouges de l'Australie sont à l'autre bout du monde, mais l'esprit de la terre est dans les esprits, les mots et la musique. En quelques semaines, les Triffids enregistrent... une merveille. Il n'y a pas d'autre mot pour décrire Born Sandy Devotional. La musique est à ce point qualitative qu'ils seraient pour moi toujours considérés comme des artistes cultes s'ils n'avaient enregistré que ce seul album. David Mc Comb le sait et le déclare à la presse.
When we finished Born Sandy Devotional I knew it was the best thing we’d ever done, there was no question about it. The writing was much more autobiographical than anything I’d done before, I felt quite close to the subject matter. I found myself almost following the idea of fidelity as a complete all-consuming faith, to give you some sort of direction or something.
And 'Born Sandy Devotional'? It was the name of a song which didn’t make it onto the record which is about someone called Sandy ... I like titles like those, they’re just a law unto themselves and they have a feeling unto themselves.
Born Sandy Devotional is the culmination of our efforts trying to capture our more considered lyrical approach with a physical intensity ... well not really, but that will have to do.
Le couverture de l'album, superbe, donne une idée du contenu. Il s'agit d'une photographie prise d'un avion de la commune de Mandurah, en Australie-Occidentale, en 1961. Aujourd'hui, Mandurah a bien changé. Elle est devenue un grand centre périurbain de Perth.
Born Sandy Devotional est à l'opposé thématique d'un autre album exceptionnel dont j'ai déjà parlé auparavant (
16 Lovers Lane des Go-Betweens). Si les parallèles musicaux entre les Go-Betweens et les Triffids sont nombreux (et logiques en fait), Born Sandy Devotional est sombre au possible. On y aborde pêle-mêle le suicide, la nostalgie, la séparation, le désespoir, la solitude, la folie. Mais le tout est tellement riche musicalement et textuellement que le propos n'en devient qu'un support de l'œuvre d'art. Sans parler des arrangements, qui, loin d'être datés comme souvent dans des productions 80's (c'est ce qui fait leur charme selon moi, mais c'est purement subjectif, bien sûr), rehausse la musique comme il se doit, et soutient l'ambiance créée par les guitares lancinantes, le synthé menaçant, la basse claquante, et surtout le chant grave et riche de David Mc Comb.
Ah David Mc Comb. Quelle voix ! Ce baryton profond et riche, et surtout ses textes ! Ses textes mon dieu ! J'en ai déjà parlé mais quel talent pour, en quelques lignes, dépeindre une scène. Un minimum de mots pour un maximum d'effet. Dans des interviews, il explique qu'il voulait qu'on se rappelle de lui plus comme un auteur que comme un composteur de chansons. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner le texte de
The Seabirds, la première chanson de l'album. Une chanson qui parle d'un suicide. Un homme en procédure de divorce nage vers un récif pour s'y noyer et livrer son corps à l'appétit des oiseaux de mer.
Charmant, n'est-ce pas ?
No foreign pair of dark sunglasses
Will ever shield you from the light
That pierces your eyelids, the screaming
Of the gulls / Feeding off the bodies
Of the fish, thrashing up the bay till it was
Red, turning the sky a cold dark colour
As they circled overhead.
He swam out to the edge of the reef,
There were cuts across his skin,
Saltwater on his eyes and arms, but
He could not feel the sting / There was
No one left to hold him back, no one
To call out his name, dress him feed
Him drive him home, say 'Little boy
It doesn't have to end this way!'
He announced their trial separation, and
Spent the night in a Park Beach Motel
Bed, a total stranger lying next to him,
Rain hitting the root hard over his head /
She said 'What's the matter now lover
Boy, has the cat run off with your
Tongue? Are you drinking to get
Maudlin, or drinking to get numb?'
He called out to the seabirds 'Take me
Now, I'm no longer afraid to die', but
They pretended not to hear him, and just
Watched him with their hard and bright
Black eyes /
They could pick the eye
From any dying thing that lay within
Their reach, but they would not touch
The solitary figure lying tossed up
On the beach.
So, where were you?
Ce texte est merveilleux. C'est un film halluciné en quelques fragments évocateurs. Car là réside le talent de Mc Comb et de son groupe. Evoquer. C'est ça le miracle de Born Sandy Devotional.
Sa puissance d'évocation. Et c'est ce qui en fait une œuvre d'art et un album à écouter au moins une fois dans sa vie.
Dayum je suis enfin arrivé à trouver des mots sur cette impression.
Je pourrais passer sur d'autres chansons de l'album, mais je vais m'attarder sur celles qui constituent selon moi les plus hauts sommets de l'album :
Wide Open Road - bien sûr -, mais aussi
Lonely Stretch et
Stolen Property.
Lonely Stretch est une chanson particulière. Il faut connaître la géographique australienne pour saisir la portée de ce texte. Il existe en Australie une grande plaine nommée Plaine de Nullarbor. Le lieu porte bien son nom : il n'y a aucun arbre qui peut pousser à cet endroit. Le Nullarbor est le plus grand plateau calcaire de la planète : 1200 km de long sur 400 de large. La moindre pluie qui tombe s'infiltre directement dans le sol. Le texte ici narre l'histoire d'un homme perdu, blessé par une histoire d'amour qui s'est mal terminée, qui se perd sur cette portion de route déserte et qui s'enfonce dans la folie. "I took the wrong turn, I couldn't find my way back". Au fur et à mesure de sa dérive, la musique se fait plus intense, le chant de Mc Comb plus menaçant, avant de se perdre dans un feu d'artifice où plus rien n'a de sens.
Stolen Property reste dans la même thématique. Je l'inclus ici parce que j'aime particulièrement son orchestration et ses arrangements. Je vous invite à l'écouter pour le crescendo et la puissance vocale de Mc Comb.
Et puis enfin, il y a
Wide Open Road...
Wide Open Road...
Putain
Wide Open Road...
Je pourrais disserter des heures durant sur cette merveille. Elle est incontestablement le sommet de toute l'œuvre des Triffids. Leur plus grande réussite. Leur héritage pour le monde entier et tous les musiciens qui les ont suivis. Elle fait partie de ces rares compositions qui ne peuvent être issues que d'un éclair de génie, que d'une pulsion remontée du plus profond des tripes de son auteur. Tout est y est parfait. La production, typiquement années 80, ne gâche rien. Mieux, elle élève l'ensemble. Le jeu de batterie qui roule comme des tambours, la basse claquante, le synthé envolé, la guitare lancinante, tout contribue à la construction d'une ambiance unique, éthérée, qui accompagne impeccablement le texte et le chant de Mc Comb. Et quand Mc Comb chante avec sa voix profonde "Well the drums rolled in my forehead", la batterie tonne dans vos oreilles, accompagnant le chagrin de ce personnage perdu. Oui,
Wide Open Road résume à elle seule le miracle de Born Sandy Devotional : elle
évoque. Elle appelle à l'esprit le paysage australien, si lointain, rouge, vide et poussiéreux, brûlé par le soleil, que parcourt cette route déserte dont parle Mc Comb. Cette piste vide est que le reflet du paysage mental d'un être qui se désole de sa solitude. Et, tandis que fonce le véhicule, les limites du ciel et de la terre se fondent ; les émotions et le paysage se confondent. Et devant vous cette route déserte s'élance vers l'horizon infini, vers la liberté, vers
n'importe où où tu désires aller.
Comme vous vous en doutez, le succès n'a pas été à la hauteur des ambitions artistiques des Triffids. Trois albums parurent après
Born Sandy Devotional :
In The Pines (1986), un album minimaliste et acoustique,
Calenture (1987) et
The Black Swan (1989). Comme les Go-Betweens, lassés par ces échecs commerciaux successifs, les Triffids se séparèrent. Mac Comb poursuivit brièvement une carrière solo et publia un album en 1994 :
Love Of Will. Il vécut quelques années à Londres avant de s'installer en Australie, à Melbourne. Souffrant de problèmes de dos, alcoolique et abusant de substances telles que l'héroïne et les amphétamines, sa santé se dégrada. Il subit une transplantation cardiaque en 1996, mais poursuivit ses abus. En 1999, il fut impliqué dans un accident de voiture et brièvement hospitalisé. Il mourut chez lui quelques jours plus tard d'un rejet de sa greffe de cœur. Il avait 36 ans.
David Mc Comb fut incinéré et ses cendres dispersées dans un
bosquet de pins situé sur la ferme de ses parents à
Jerdacuttup, dans son
Australie-Occidentale natale, qui a hanté toutes ses compositions.
Que reste-t-il aujourd'hui de l'héritage de David Mc Comb et des Triffids ?
Une discographie impressionnante, des chansons aux textes renversants, le respect de toute une scène musicale qui regrette amèrement son décès prématuré, et un
classement de Wide Open Road aux archives audiovisuelles de l'Australie en 2021. Oui.
Plus de Triffids ?
A votre service mesdames et messieurs.
La version de Wide Open Road enregistrée pour les Peel SessionsBorn Sandy Devotional, la plage titre de l'album éponyme, qui n'a jamais été terminée et figure seulement sur In The PinesBury Me Deep In Love, le single tiré de CalentureWell the rim of her mouth was golden
Her eyes were just desert sands
But that's not her!
That's just the light
It's only an image of her
It's just a trick of the light
[...]
You remind me very much
Of someone that I used to know
We used to take turns crying all night
Oh, but that was so long ago now