Songe 4
On a froid. Certains prient. D'autres pleurent. Serrés les uns contre les autres, on attend. On attends le signal de notre capitaine. Le coup de sifflet qui va tout déclencher. Philippe, mon meilleur ami, est avec moi, épaule contre épaule.
De mon côté, je tiens mon fusil, je m'accroche à lui. D'ici quelques minutes, c'est lui qui va peut-être pouvoir me sauver la vie. Autour de nous, les tranchées boueuses qui nous servent d'abri... notre nouvelle maison. J'ignore depuis combien de temps je suis là. Les jours se ressemblent tellement, ils s'enchaînent encore et encore comme un manège sordide.
Planté sur son échelle, le capitaine observe avec ses jumelles quand soudain un rafale de balles sifflent au-dessus de sa tête. Arrivant à se mettre à l'abri de justesse, la mitrailleuse qui en est à l'origine défouraille tellement que de la terre et projeter sur nous comme une véritable pluie solide. Puis, après 30 bonnes secondes, le silence revient, plus macabre que jamais.
Paniqué, l'un des pleureurs se lèvent d'un bond en jetant son arme et son casque.
- C'est pas ma guerre putain !Tentant de fuir, il n'a le temps de ne faire qu'un bas qu'une balle vient se loger entre ses omoplates. Fumante, c'est l'Arme de notre capitaine qui vient de parler.
- Je n'ai qu'une seule règle. Tout le monde se bat! Personne se barre !La peur nous paralyse. L'homme, lui, reprend sa place sur son échelle sans se soucier une seconde du cadavre de notre compagnon, se vidant de son sang à nos pied. Les minutes d'attentes paraissent des heures. Mais finalement le capitaine se retourne en nous intimant l'ordre de nous préparer.
Par duo, chacun se saisit d'une échelle et la rabat contre le mur de la tranchée. Mes mains tremblent. Elles sont gelés.
Soudain, ça y est, le coup de sifflet. Les cris de guerre tente vainement de nous donner du courage alors que nous montons tous ensemble les barreaux. Vivant depuis si longtemps comme de véritables taupes, j'ai l'impression de ne pas avoir vu de plaines depuis une éternité. Seulement... celle que je m'apprête à traverser n'a rien d'une prairie verdoyante.
Bien au contraire.
Ce n'est qu'une étendue de terre morte où gisent ici et là, les cadavres calcinés de quelques arbres et les morts sans vie de nos prédécesseurs.
Mais, le temps n'est pas à la contemplation. Il est à la course. Baïonnette en avant qu bout de mon canon, je galope droit devant moi. Le bruit assourdissant des cris et des coups de feu résonnent dans ma tête à m'en rendre sourd. Je hurle à mon tour, vidant mes poumons jusqu'à ce que ma voix ne meurt enfin dans ma gorge.
C'est alors que je m'aperçois du silence qui m'entoure. Ce mutisme lugubre me fait frissonner alors que je me stoppe. Seul, je me retourne pour constater avec horreur que je suis le dernier debout.
À quel pas derrière moi, gît Philippe dont le casque ne la même pas sauvé d'une balle, éventré par l'une d'entre elle.
M'approchant de lui, je sais que ma course n'a plus aucun sens. Tombant à genoux, mon arme s'écrase sur le col boueux du no man's land. Mes bras, eux, pendent désarticulés le long de mon corps. Levant la tête, une éclaircie soudaine perce les nuage sombre accompagnée d'un sifflement. Regardant mieux, je vois qu'un avion vient de passer et qu'un petit point noir tombe droit sur moi.
Je tente de hurler mais à quoi bon.
Et soudain. C'est le noir.