- Nous perdons le sujet.
- Réanimez le encore une fois.
Un tas de personnes en blouse d’un blanc lointain s’afféraient autour d’un individu allongé sur une table d’opération. Un vieil électrocardiogramme couvert de poussière n’affichait aucune activité, laissant planer un son de mort dans la pièce. Cette dernière était d’ailleurs en sale état, de l’eau filtrait à travers des trous dans le plafond, de vieux cartons moisis traînées par-ci, par-là, le matériel utilisé était tout sauf stérile, on pouvait voir de la rouille gangréner certains d’entre eux.
Une salle clandestine, en somme.
Mais, malgré la pauvreté apparente du lieu, plusieurs éléments détonnaient clairement avec le reste de la pièce. A commencer par cette espèce de plateforme d’où surgissait l’hologramme d’une femme miniature aux tons bleutés, en pleine discussion avec ce qui semblait être le chirurgien en chef.
Mécanicien serait plus adapté.
En effet, l’homme allongé sur la table était relié à d’étranges machines dont l’utilité était obscure, si ce n’était pour les personnes qui tentaient de faire revenir le patient des limbes. Mais dans quel état, ça… ses bras n’étaient plus de chairs et d’os, ils avaient été remplacés par des prothèses cybernétiques d’un noir chromé.
On pouvait également apercevoir de drôles d’implants au niveau de son visage, ainsi qu’une marque en forme d’hexagone sur son front, à gauche. Un câble provenant de la machine était fixé à l’arrière de son crâne, d’autres se trouvaient au niveau de ses bras.
Il était solidement attaché à la table.
Après plusieurs chocs électriques, le cœur repartit. C’était déjà la cinquième fois.
- Sujet réanimé, les modifications peuvent reprendre professeur Tyrell.
- Il manque quelque chose, le sujet ne survie jamais jusqu’à l’aboutissement du processus ou meurt au réveil…
Le chirurgien grattait frénétiquement sa barbe de plusieurs jours, il savait qu’il manquait quelque chose mais ne trouvait pas de réponse. Pourtant, le matériel volé était ce qui se faisait de mieux sur le marché, directement récupéré des stocks militaires du Royaume et les chirurgiens-mécaniciens étaient plus que compétents.
Mais rien n’y faisait, à la découverte des modifications, c’était la panique et la mort du sujet. Les informations étaient trop nombreuses à assimiler d’un coup, la peur trop puissante, ils n’avaient pas la volonté d’y survivre, le corps résistait mais l’esprit manquait de résilience.
Et si… et si c’était ça, la clé ?
- Je veux qu’il soit conscient, réveillez le moi.
D’abord abasourdies, les quelques personnes présentent s’insurgèrent et manifestèrent la décision de leur supérieur, il avait perdu la tête. Après tant d’essais et autant d’échecs, il avait finalement perdu toute lucidité. Pourtant Tyrell était sûr de lui, il n’en démordrait pas.
- Faites ce que je vous dis, je sais ce que je fais. Double dose, il faut le maintenir éveillé durant l’opération.
Après une légère hésitation, une seringue bien chargée s’enfonça dans le cou du patient. Le liquide qu’elle contenait se répandit rapidement dans son corps. Ses yeux s’ouvrirent avec violence, tandis que son corps se tendit et fut secoué de spasmes frénétiques.
La lumière qui se balançait au-dessus de lui, les chirurgiens dans leurs blouses maculées de sang et de cambouis, les chaines qui le maintenait sur la table, la pièce insalubre, malsaine, et les machines… il ne savait rien de ce qui lui arrivait et n’avait pas envie de le savoir, qu’est-ce qu’il faisait là ? Il voulait juste s’échapper.
- LIBEREZ MOI PUTAIN !
Le jeune homme était enragé, les chirurgiens essayaient de le calmer, en vain, il était incontrôlable. Son bras mécanique droit se tendit alors d’un coup, arrachant les liens qui le maintenaient à la table, le gauche était toujours attaché, il manquait quelques connexions et n’était pas fonctionnel.
- Professeur Tyrell…
- Incroyable… ça fonctionne, ça fonctionne !
Le chirurgien n’entendait pas ce qu’essayait de lui dire l’hologramme, trop bouleversé de voir l’œuvre de toute une vie sur le point d’être réalisée. Jamais il n’avait eu de pareil résultat, les anciens sujets qui arrivaient à survivre au processus et qui se réveillaient ne pouvait pas faire bouger leurs membres mécaniques, puis ils mourraient sous le choc, en prenant connaissance des modifications.
Là, ça dépassait ses espérances les plus folles.
- DÉGAGEZ !
D’un coup de bras, il envoya s’encastrer dans le mur un des chirurgiens qui avait tenté de le maîtriser. Rien ne l’arrêterait, pas même les liens qui bloquaient son bras gauche, mais il avait beau tirer, il n’arrivait pas à le dégager, comme s’il était mort.
Et enfin, il vu ce qui était arrivé à son bras.
- Qu’… Qu’avez-vous fait ?! QU’EST-CE QUE VOUS AVEZ FAIT ?!
Les machines s’emballèrent, l’électrocardiogramme aussi, alors que la tension grimpait en flèche, des signaux d’alarmes se firent entendre depuis la machine, quelque chose clochait, il y avait un problème. Le bras cybernétique droit du jeune homme, complètement paralysé par la peur, retomba le long de son corps, inerte.
- I.S.I.S. qu’est ce qui se passe ?!
- Le taux de synchronisation chute drastiquement, le sujet perd le contrôle.
- Il faut le calmer, nous y sommes presque, nous ne pouvons pas échouer !
Les mécanos-chirurgiens allaient intervenir quand des arcs électriques se dégagèrent de la machine, un son strident se fit entendre et une lumière bleutée, intense, emplit la pièce, filtrant à travers les rideaux émiettés de la fenêtre. L’électricité mettait en pièce la salle, un des arcs toucha l’eau et électrocuta 3 personnes s’y trouvant, les tuants sur le coup.
En dehors, dans la ville, un pan de quartier fut privé de courant. La lumière s’intensifiait depuis le bâtiment à moitié en ruine.
- Disfonctionnement de la machine, toute l’électricité de la ville est pompée jusqu’ici. Des unités du Royaume sont en route, il faut quitter les lieux professeur.
- Non ! On peut encore faire quelque chose, nous n’aurons pas d’autres occasions !
Alors que toutes les personnes encore vivantes reculaient au fond de la pièce pour éviter les arcs, le professeur s’était avancé ver le jeune homme. Complètement perdu et terrifié, il balbutiait et répétait en boucle la même chose.
- Qu’avez-vous fait… mon corps, mon humanité…
Tyrell plaça ses deux mains sur les épaules de l’augmenté, faisant fi de la machine derrière eux et des éclairs projetés en tous sens, il essayait de calmer sa création.
- Tu es parfait, concentre toi, tu es une nouvelle étape dans l’évolution de l’espèce humaine, l’alliage du corps et de la technologie. Tu représentes tellement d’espoir pour la science, tu dois te ressaisir.
Une alarme s’entendait désormais dans la rue, on pouvait apercevoir des lumières rouges au dehors, via la fenêtre, un bruit assourdissant de pales se faisait entendre : les unités spéciales étaient arrivées.
- Rendez-moi mon corps, rendez le moi !
Une détonation puissante fit exploser le mur au niveau de la fenêtre, des débris furent projetés un peu partout dans la pièce. A travers le trou béant, sous l’averse, on pouvait voir une sorte d’hélicoptère à l’allure futuriste, des sortes de robots ou d’hommes en armures y étaient lourdement armées.
Le professeur se retourna, protégeant l’augmenté de son corps, bras écartés, il hurla aux robots.
- Attendez ! Dites à Wily que j’ai des résultats, laissez-nous une chance, il peut y arriver !
Des LED disposées au niveau de la tête des robots prirent une teinte bleue, pendant un court instant, avant de reprendre leur couleur rouge initiale : ils firent feux. Les balles fusèrent dans la pièce, déchiquetant tout sur leur passage, le professeur Tyrell se retrouva criblé de balles mais protégea le jeune homme encore apeuré, jusqu’au bout.
Puis tout explosa.
Une terrible détonation se produisit suite à l’explosion de la machine, retournant le bâtiment tout entier, des arcs électriques partirent dans toutes les directions, touchant l’hélico qui s’écrasa plus bas dans la rue, propageant le chaos ambiant. Il ne restait plus grand-chose, mais le bâtiment tenait encore le coup, pour l’instant, même si l’étage avait été en partie rasé.
Je me réveillai alors dans un décor apocalyptique.
Allongé sur le sol, au milieu de débris, une grosse poutre sur ma poitrine m’empêchait de bouger. J’avais mal partout et n’était plus très sûr d’où je me trouvais et ce qu’il s’était passé auparavant. Mais il y avait une chose que j’avais bien en tête, la perte de mes bras, changés en métal.
L’idée m’horrifiait, je recommençais à paniquer. Pas à cause du bâtiment qui menaçait de s’effondrer, ni du feu qui prenait forme petit à petit, non j’avais peur de ne plus me reconnaitre, de devenir une machine, de perdre mon humanité et devenir un esclave docile et soumis, mué par une volonté collective.
Non décidément, ce n’était pas possible, mon corps le rebutait à un point, il rejetait ses implants mécaniques de toutes ses forces, de toutes son ardeur.
- Les humains sont de drôles de créatures. Vous venez de survivre à l’explosion du générateur et, pourtant, vous abandonnez la vie pour des raisons si futiles.
Les débris étaient disposés de sortes qu’un petit espace s’était formé, en y regardant mieux on pouvait même voir une porte défoncée, une échappatoire. Et pourtant, ce qui attira mon regard depuis ma position précaire, c’était le support de l’hologramme, couché au sol et en piteux état, mais toujours fonctionnel.
L’hologramme était accroupie au sol, son regard, planté dans le miens, dégageait quelque chose d’humain, de chaleureux. L’I.A était représentée par une jolie jeune femme, son corps était bleu et composée de ligne de code. C’était à la fois terrifiant et magnifique pour moi qui avais en horreur ce genre de technologie, pâle copie de l’être humain.
La bouche pâteuse, l’augmenté que j’étais répondit tant bien que mal entre deux quintes de toux.
- A quoi bon vivre si c’est pour devenir une machine ? Je tiens à mon corps, je ne veux pas de substitut, je n’ai rien demandé de tout ça.
- Vous n’avez peut-être rien demandé sujet n°36, mais le fait est là et il est impossible de faire machine arrière. L’instinct de survie de l’Homme n’est pas aussi développé qu’espéré, le sacrifice du professeur Tyrell a été vain. Comme de tous les autres, eux qui vous ont permis de devenir ce que vous êtes aujourd’hui. L’Homme est lâche.
Naturellement, mes sourcils se froncèrent à la dernière réplique de l’hologramme, comment pouvait-elle reporter la faute sur moi alors que tout avait était fait sans mon consentement ? Si ces personnes étaient mortes, je n’y pouvais rien, je n’avais rien demandé, je n’avais jamais voulu devenir comme ça. Après la peur, c’est un sentiment de colère qui commença à me submerger.
- Ne rejette pas la faute sur moi, je n’ai rien demandé ! S’ils sont morts, c’est pour avoir fait des expériences sur de pauvres personnes comme moi ! Ils ont volé mes bras et que sais-je d’autres encore ?! Je ne suis pas un lâche, mais je préfère mourir que de devenir un stupide robot qui obéit aux ordres d’autres ! Tu ne penses pas qu’il vaut mieux garder son libre arbitre ? Enfin, tu n’es qu’une I.V je ne sais même pas pourquoi je te parle, putain…
Continuant à ruminer de sombres pensées, pestant le sort qu’on m’avait réservé, je préférais mourir avant qu’on ne me trouve, qu’il ne soit trop tard pour moi, que je conserve ce qu’il me restait encore d’humain jusqu’au bout. Pendant ce temps, l’I.A pencha la tête, tout en me regardant, son visage se voulait interrogateur, on sentait qu’elle réfléchissait, qu’elle se posait une question, comme si c’était la première fois qu’on s’adressait à elle de cette façon. Pour la première fois, elle se sentait hésitante, ne trouvant pas de réponse, tiraillée entre devoir et savoir.
- Je…
I.S.I.S. se coupa aussitôt, elle venait d’utiliser pour la première fois le pronom personnel « je ». Pourtant, elle ne savait pas comment décrire autrement ce qu’elle… ressentait. C’était inhabituel, étrange, inconnue pour elle.
- Je… je ne sais pas. Peut-être. Sans doute, même. Mais vous êtes un humain, et aucune modification n’a était faite sur votre esprit, à l’intérieur vous êtes toujours le même. Vous disposez toujours de ce que vous appelez « libre arbitre »… alors, pourquoi ne pas… accepter… ce que vous êtes devenue ? Je ne comprends pas.
Les dires de l’hologramme eurent sur moi l’effet d’une décharge électrique, plus violente que tout ce que j’avais traversé jusque-là encore. Une I.V ce que je considérais comme quelque chose de faux, d’incapable de ressentir le moindre sentiment, d’être tout simplement humain, était autant en train de se poser des questions qu’à moi ? Comment une intelligence créé par l’homme, un être mécanique, pouvait ressentir ce genre de chose ? Un sentiment étrange me parcouru alors que je réfléchissais tout haut aux paroles de cette dernière.
- Je…
Accepte-toi.
- Non, non je ne peux pas, je ne peux pas !
Accepte-toi.
- Comment le pourrais-je alors que…
Accepte-toi.
Au fur et à mesure que j’entrais en conflit entre mon désir de rester humain et celui d’accepter mon sort, quelque chose se passa en moi. Ma peur, se mua en rage, celle de n’avoir pas pu décider de mon sort, puis en colère, d’avoir voulu abandonner la vie, enfin elle éclipsa ma peur même : je devais vivre, peu importe les raisons, peu importe comment avait changé mon corps. Cet I.A avait raison, mon esprit était toujours libre, mon corps avait changé, certes, mais mon esprit était toujours aussi résilient, je ne pouvais pas abandonner maintenant, je pouvais vivre comme j’étais, je pouvais accepter ce qu’était devenu mes bras et le reste.
Mon esprit était intact et, c’est au final ça, qui faisait vraiment de moi un être humain.
Accepte-toi.
- Oui !
Mon bras droit se remit alors à m’obéir, mon corps de chair et de métal ainsi que mon esprit ne faisait plus qu’un, parfaitement synchronisé. Agrippant la poutre qui me maintenait au sol,je poussai de toutes mes forces et réussi à me dégager. J’étais désormais libre de mes entraves, mais pas seulement, j’étais libre d’être celui que j’étais vraiment, quel que soit ce que l’on ferait à mon corps, à l’intérieur je resterais le même.
Péniblement, le reste de son corps étant tout de même salement amoché, l’augmenté se traîna vers l’hologramme. En chemin, il trouva un drôle d’appareil, une sorte de tournevis high-tech, instinctivement, il sut s’en servir et l’utilisa pour brancher les connexions manquantes au niveau de son bras et replaça la protection autour des câbles. Son bras gauche répondait désormais avec autant d’efficacité que le premier.
Mon corps et mon esprit étaient réparés.
Tournant la tête vers l’hologramme de la jeune femme, je souris et dit un simple mot qui représentait beaucoup pour moi.
- Merci.
Accepte-toi.