POST DE PHOBIE : VERMINOPHOBIE
(peur des germes)
*Nico attendait à l'entrée de la station de métro de Rennes. Il avait rendez-vous, mais avec qui ? Il ne savait plus, mais il se rappelait au moins qu'il était en retard. Très en retard. Il s'impatientait, s'agaçait. Le temps passait, mais la personne qu'il attendait ne se présentait pas. Fatigué d'attendre, le retard devenant trop important, il descendit les escaliers. Il sortit sa carte de transport. Il l'approcha de la borne, juste ce qu'il fallait pour ne pas la toucher mais suffisamment pour valider le voyage. Il s'imagina un instant le malaise si sa carte entrait en contact avec la borne. Ce que tous ces gens avaient touché. Là où ils avaient laissé leurs germes. Si sa carte la touchait, les germes passeraient dessus... Puis sur sa main ou dans son portefeuille.
Non, mieux valait ne pas y penser. C'était exagéré.
La borne bippa et la porte s'ouvrit. Nico traversa. Il continua plus profondément, suivant escalators et escaliers; Il ne se rappelait pas que le métro de Rennes était si profond. Sans doute était-ce dû aux récents travaux ? D'ailleurs, les murs semblaient légèrement plus jaunes. Non, la lumière y était sûrement pour quelque chose.
Un certain temps plus tard, qui paru à la fois une éternité et un bref instant, Nico arriva en bas. Le métro n'était pas encore arrivé, et il n'y avait personne à part lui dans la station. Le panneau électronique annonçait une arrivée imminente. Pour patienter, il ouvrit son téléphone. Pas de réseau, évidemment. Il coupa l'écran et aperçut soudain, en plein milieu de l'écran une tache. Elle semblait grasse, collante, légèrement luisante, avec un reflet violacé luisant. Qu'est-ce que c'était ? Il n'avait rien touché d'inhabituel et son téléphone était resté dans sa poche tout du long. Qu'importe il fallait le nettoyer. Il hésita un instant. Il sortit de sa poche arrière un paquet de mouchoir, en tira un et nettoya l'écran. L'écran semblait moins gluant, un peu moins violacé, mais étalé. Nico s'acharna, mais il ne réussit pas à mieux s'en débarrasser. Il observa le mouchoir : le miasme était dessus, collant. Il chercha une poubelle mais n'en trouva pas. Il replia le mouchoir pour le mettre dans sa poche. Mais une partie du miasme dépassait. Et si ça s'étalait dans sa poche ? Et s'il mettait sa main dans sa poche et s'en mettait sur la peau ?
A contre-coeur, il rejoignit l'angle de la station et déposa le mouchoir. Ce comportement n'était pas très civique, mais il se convainquit que cela était exceptionnel. Il se repositionna devant l'annonce de la porte du métro et attendit. Le temps semblait interminable. Le métro était toujours sur le point d'arriver.
Nico s'ennuyait. Il tourna à nouveau la tête vers le mouchoir et s'arrêta net. Dans l'angle, une masse violette s'étendait à hauteur d'homme et couvrait chaque surface, mur et sol. Le mouchoir, quant à lui était complètement violet, fondu dans cette masse. Une sueur froide parcouru le dos de Nico. Cela n'avait duré qu'un instant, et cette chose avait grandit. Comme une masse vivante. Il la fixa un long moment, tendant l'oreille dans l'espoir d'entendre l'aspiration typique du métro approchant. Mais rien. Au contraire, son attention se fixa davantage alors qu'une impression désagréable le saisissait. Le sol était couvert de larges dalles. Et la masse violette, comme le soleil se déplaçant dans le ciel, semblait étendre son rayon. Elle gagnait du terrain. Elle approchait de Nico.
Il respira plus vite et se mit à transpirer. Il tourna le regard vers les escaliers et ne put retenir un cri. Une masse similaire, d'un jaune terne à l'aspect proche d'un lichen malade, s'étendait sur toutes les surfaces, du sol au plafond. En fait, elle était déjà proche et commençait même à ronger le panneau d'affichage électronique. Il était coincé et ne pouvait fuir.
Il était coincé. Il allait se faire toucher par ces choses. Ces miasmes. Il allait attraper les maladies ignobles qu'elles conservaient en elles. Avec une continuité et une conviction imperturbables, les masses progressaient, spécifiquement vers lui. Elles approchaient, à mi-chemin, plus qu'à quelques mètres, puis proches de ses chaussures. Il recula doucement, coincé entre les miames et le bord du métro. Il était coincé.
Soudain, une aspiration se fit entendre dans le tunnel. Le métro arrivait. Mais serait-il là à temps ? Le son paru interminable, et les miasmes étaient toujours plus proches. Quelques centimètres, quelques millimètres de ses chaussures. Nico se mit sur la pointe des pieds. tremblant de terreur.
Et le métro finit par arriver. Les portes s'ouvrirent à peine et Nico sauta à l'intérieur, prenant garde de ne pas tomber et de ne toucher à rien. Les portes se refermèrent, la trame se mit en marche et Nico reprenait son souffle, plié en deux. L'intérieur du wagon était propre, immaculé. Le wagon était fait de fauteuils rouges en feutre, maintenu au centre par quelques barres métalliques, quelques sièges amovibles, et les bords maintenus par de larges vitres et une structure blanche en plastique solide.
Inquiet, Nico observa ses chaussures sous toutes les coutures. Rien. Il reprit son calme, lentement, calmant son cœur paniqué. La trame gigotait un peu aussi il chercha un moyen de garder son équilibre. Il voulut saisir une des barres de métro, ou s'asseoir, mais son expérience précédente l'en empêcha. Il s'approcha et les inspecta au plus près. Sur les barres, qui semblaient au premier abord saines, Nico nota une impression étrange : une surface quadrillée bleue ciel, à peine perceptible. Pourtant, elle était bien là. Il recula précipitamment alors que le métro se secoua doucement, manquant le faire tomber contre la barre. Il reprit son équilibre et approcha des sièges. Une pellicule orangée, à peine différente de la couleur des sièges les recouvrait. Une nouvelle sueur froide parcouru l'échine de Nico. La température chuta encore alors qu'il nota, émergeant entre la structure et les vitres, un reflet violacé, qui s'étendait. Nico était tétanisé, ne sachant que faire. Il tourna la tête vers le panneau d'affichage au plafond du wagon. On pouvait y lire "Prochaine station", mais n'était suivi d'aucune autre indication. Il regarda dehors et ne reconnu pas le tunnel, ni la potentielle station approchante. Il s'agissait d'un tunnel sans fond, noir et uniforme.
Nico recula alors qu'un miasme orange recouvrait, bien trop vite à son goût, la vitre.
Il se tient au centre du wagon, inquiet. Très rapidement, tout s'étendait autour de lui. Le bleu quadrillé, le lichen malade, le reflet violet, l'orange étrange. Chaque surface avec ses germes, ses maladies. Qu'allait-il attraper avec ces horreurs ? Pourrait-il tenir ? Il allait s'en mettre sur les mains, ne pourra plus s'en débarrasser et à chaque geste, il transmettra ces saletés. Sur ses affaires, dans la rue, sur son visage, ses yeux, sa bouche, son organisme entier. Et ils s'étendraient, conquérant tout.
Nico transpirait à grosses gouttes, tremblait, respirait avec précipitation. Il chercha à reculer mais sentit ses jambes lourdes. Il baissa les yeux. Le lichen malade et le bleu quadrillé se disputaient ses chaussures et son pantalon. Et lentement, ils grimpaient. Et la prochaine station n'arrivait pas. Il était coincé.
Nico devenait fou. Il était incapable d'agir, et préférait se laisser mourir.*
Je vais vriament vivre comme ça ?*Hagard, les yeux vitreux, alors que les germes s'étendaient sur lui, quelque chose en lui remuait.*
Je vais vraiment redouter chacun de mes pas, manquer de chuter, trembler en touchant une poignée, croire mourir en serrant une main ?*Les miasmes atteignaient son visage. Il avait fermé la bouche, cessé de respirer, comme si cela pouvait constituer un bouclier naturel.*
Comment font les autres ? Eux ne tombent pas malades. Eux ne sont pas dérangés par ça. Ils vivent. Normalement. Pourquoi pas moi ? Ceux qui attrapent la grippe, la gale, ou n'importe quelle saleté. Comment font-ils ? Leur organisme se défend et se renforcent. Ou ils vont voir le médecin, pour les aider. Et ils survivent. Largement.
Et moi, je me lave trop les mains. Je ne touche plus à rien. Et mon organisme ne s'entraîne plus. Et je fatigue de stress. Alors, je suis plus vulnérable. Est-ce vraiment la solution ?*Nico ferma les yeux alors que les miasmes finissaient de le recouvrirent. Il ne voyait plus rien, mais sentait ces choses sur sa peau. Comme un être vivant. Ils pulsaient comme s'ils avaient un coeur. Ils suaient, ils piquaient comme un animal.*
Non. Non. Ce n'est pas la solution. Je ne peux pas vivre comme ça. Je veux juste vivre, l'esprit tranquille, sans craindre l'horreur à chacun de mes gestes. Mais comment faire ?*Les masses de germes se densifiaient, se durcissaient, comme si elles le changeaient en statut. Il était vulnérable, un objet comme un autre à leurs yeux.*
Je sais. Il n'y a qu'une solution. Faire avec.*Il ouvrit les yeux et la bouche doucement, recommença à respirer. Il sentit les flaques pénétrer lentement jusqu'au fond de sa gorge et de son estomac Il avança, décrochant ses pieds et les germes du sol comme on arracherait du papier collé. Il tendit le bras, et agrippa la barre du métro, pour ne plus tomber.
Et les miasmes disparurent. Il était seul dans le métro, indemne. Il entendit l'aspiration du métro tandis qu'une voix électronique annonçait la prochaine station. Le wagon s'arrêta et les portes s'ouvrirent. Nico descendit tranquillement et repirait avec calme. La tension qui l'habitait l'avait quittée. Il monta les escaliers, posant la main sur la rambarde pour accompagner son mouvement. Et il quitta la station de métro.*